Souveraineté Numérique Suisse : Construire l'Interdépendance Stratégique

Panel : The Initiators
Panoramai - Swiss Generative AI Summit, Geneva
08:30 - 09:15
Intervenants :
Juliane Schröter, Vice-Rectrice, Université de Genève
Sami Kanaan, Ancien Maire de la Ville de Genève
Hannes Gassert, Président & Co-Fondateur, CH++ et Liip
Modérateur : Ernesto Izquierdo, Talan
English version below
Un Impératif Géopolitique à Multiples Facettes
La souveraineté numérique suisse représente à la fois une nécessité face aux risques géopolitiques actuels et une opportunité de renforcer la sécurité, la démocratie et les valeurs du pays, affirme Juliane Schröter, Vice-Rectrice de l'Université de Genève, en ouverture du panel. Pour elle, la question dépasse le simple choix binaire : « De quelle souveraineté numérique suisse parlons-nous ici ? Parlons-nous de souveraineté au sens d'une indépendance technologique ou infrastructurelle, ou bien de la capacité à contrôler la diffusion de nos données ? »
Schröter définit trois dimensions essentielles : l'indépendance technologique et infrastructurelle, le contrôle de la diffusion des données, et la compétence citoyenne à utiliser le numérique de manière autonome et éclairée. Cette approche intégrale trace un cadre ambitieux pour un pays qui doit naviguer dans un environnement géopolitique fragmenté.
Ernesto Izquierdo, modérateur du panel, lance un exercice de prospective provocateur pour illustrer l'urgence du débat. Il invite l'audience à imaginer un scénario en 2030 où les États-Unis imposeraient une taxe de 35% sur tous les outils intégrant l'IA : « Imaginons nos hôpitaux, nos universités, nos centres de secours, tous sont soit taxés de 35% du jour au lendemain pour tous les processus qui ont été automatisés ou augmentés avec l'IA ». Ce scénario dystopique, initialement perçu comme une fiction, prend une dimension plus réaliste après réflexion sur les dynamiques géopolitiques actuelles.
Izquierdo souligne également qu'en Suisse, 7 entreprises sur 10 rencontrent des difficultés d'adoption de l'IA « non pas par un défi technique, mais par un défi humain, culturel, organisationnel ». Il propose un cadre d’adoption articulé autour de trois cercles : le leadership, qui définit la vision ; le Lab, qui incarne les solutions techniques ; et la collectivité (crowd), qui symbolise l’engagement citoyen.
Le Paradoxe Suisse : Excellence et Dépendance Critique
Sami Kanaan, ancien Maire de la Ville de Genève, apporte une perspective pragmatique enracinée dans l'expérience politique. Se présentant comme « un citoyen qui s'intéresse avec ses compétences au numérique en général depuis longtemps, sans être du tout le geek de service », il décrit le défi de suivre les évolutions de l'IA dans un contexte d'informations contradictoires oscillant entre catastrophisme et promesses lyriques.
Kanaan rappelle que les ruptures technologiques ont toujours marqué les sociétés, citant l'exemple de la machine à vapeur qui transforma l'économie genevoise en rendant obsolète le port des Eaux-Vives. La particularité actuelle réside dans « la vitesse et l'ampleur, dans tous les domaines de la société ».
L'ancien maire souligne un paradoxe troublant : bien que la Suisse soit classée première en innovation mondiale par l'OMPI, son ADN profond repose sur le non-interventionnisme et la confiance dans les mécanismes de marché, une approche qui « ne fonctionne plus maintenant ». Cette doctrine traditionnelle supposait un marché ouvert et équitable où la richesse permettait d'acquérir les meilleures solutions. Kanaan observe : « Récemment, il y a eu un débat qui n'a rien à voir avec l'IA, très intéressant, c'était la crise de l'une des dernières entreprises de sidérurgie ensuite, aciérie. Pour la première fois, une majorité du Parlement, donc la droite, a demandé au gouvernement contre l'habit suicide d'intervenir pour sauver cette aciérie. C'est totalement antinomique avec l'ADN de la Suisse. »
Cette prise de conscience progressive s'étend au numérique. Kanaan formule une mise en garde claire : « On a beau avoir l'argent, si les États-Unis décident de réserver leur matériel Nvidia aux États-Unis, c'est mort. » Cette dépendance technologique contraint la Suisse à repenser fondamentalement son approche, elle qui « déteste choisir entre la Chine et les États-Unis, entre l'Europe et l'Afrique. Elle aime bien être bien avec tout le monde. Alors dans le monde d'aujourd'hui, c'est un peu compliqué. »
Trois Piliers Stratégiques pour l'Interdépendance
Hannes Gassert, Président et co-fondateur de CH++ et Liip, structure le débat avec une vision stratégique claire. Se présentant avec humour en précisant qu'il parle lentement « non pas parce que je suis une IA, mais parce que je suis un Suisse-Allemand », il définit sa conception de la souveraineté : « Pour nous, clairement, la souveraineté n'est pas l'autarcie, mais c'est l'art de l'interdépendance. »
Gassert propose une stratégie en trois piliers. Le premier concerne les leviers stratégiques. Il reconnaît lucidement les limites suisses : « On ne sait pas construire un ordinateur, on ne peut même pas construire un tableau. Quand sur des puces IA, non, hors question. Entraîner les plus grands LLM, non, on ne va pas y arriver. » Mais le pays excelle ailleurs : « Être hyper attractif pour les talents, avoir une vraie excellence dans les data centers, les données ouvertes de plus haute qualité et les LLM les plus ouverts et les plus auditables, ça, on sait faire. » L'enjeu consiste à exploiter ces atouts « avec une certaine habileté dans cette interdépendance. C'est une question de combinaison de soft power et de hard power, mais appliquée stratégiquement. »
Le deuxième pilier, la "swappabilité", vise à garantir systématiquement des alternatives. Gassert rappelle son expérience : « En 2009, j'étais impliqué dans un cas juridique devant le tribunal administratif fédéral où c'était vraiment la question, est-ce que la communauté open source peut porter plainte contre les Microsoft Enterprise Agreement où aujourd'hui toujours la Suisse est absolument dépendante de ces produits. Là, il n'y a aucune souveraineté numérique aujourd'hui. »
Le troisième pilier concerne les investissements structurants. Gassert affirme qu'il faut « aujourd'hui une politique industrielle pour l'âge de l'IA. Ça concerne certainement l'énergie. Vous savez tous, il n'y a pas d'entraînement des grands modèles sans une abondance d'énergie. » Il pose une question métaphorique puissante : « Quel est le Gothard de l'interface de l'IA ? » faisant référence au tunnel qui « c'est toujours un vrai atout stratégique, mais ça a beaucoup développé une culture du progrès et de la sécurité collective. Et ça, on avait besoin dans les années 30 du siècle passé et on aura besoin pour les années 30 de celui-ci. »
Régulation et Innovation : Créer la Confiance
Kanaan rejette l'opposition toxique entre innovation et régulation : « Il faut trouver un équilibre et c'est ce qu'on sait faire en Suisse et en Europe. Il faut en faire un atout plutôt qu'un frein. » Il propose une approche distinctive : « Il ne faut pas essayer d'aller plus vite ou aussi vite que les Américains, par exemple, surtout en ce moment avec leur approche très toxique et complètement démesurée du sujet. Il faudrait peut-être un poil plus lentement, mais mieux et plus loin ensemble. »
Schröter apporte une perspective essentielle sur cette articulation : « Pour l'innovation, il faut avoir un produit pour lequel il existe un marché. Pour un marché, au moins en Europe, il faut avoir la confiance des consommateurs et consommatrices. Et pour cela, on a besoin d'une réglementation. » Cette chaîne de valeur place la régulation comme facilitateur de confiance plutôt que comme frein.
Kanaan insiste sur la nécessité du dialogue : « Il faut leur expliquer les enjeux et il faut trouver un moyen de parler aussi d'éthique, de la gestion des données, parler aussi de la dimension écologique et environnementale de ce domaine et parler aussi des enjeux de société, notamment la fracture numérique, qui est une réalité y compris dans ce pays. » Il révèle qu'« un bon tiers de la population n'est pas à l'aise avec des manipulations de base sur votre iPhone. C'est énorme pour un pays qui, par ailleurs, a un degré de connexion de quasi 100%. »
L'Université de Genève : Trois Dimensions de Souveraineté
Schröter détaille la contribution de l'Université de Genève selon trois axes. Sur l'indépendance technologique, elle souligne que l'université « contribue activement » avec des spécialistes en IA travaillant sur « large scale and high dimensional issues ou de la sample efficiency and machine learning ». Elle se montre enthousiaste à l'idée de faire de Genève « la capitale de la gouvernance numérique », mais avertit que « l'avenir d'un tel projet dépend du financement, de la recherche de pointes et des grands projets infrastructurels ».
Elle alerte sur les coupes budgétaires : « Le domaine de la formation, de la recherche et de l'innovation est particulièrement touché par le programme d'économie présenté par le Conseil fédéral en juin. Celui-ci prévoit plus de 460 millions de coupes par an, soit presque en vigueur 4 milliards sur 3 ans. Pourquoi ? Je ne le sais pas. »
Sur le contrôle des données, Schröter explique que l'université dispose « de nos propres centres des données, d'une politique des données. Nous travaillons actuellement sur la mise en place des LLM souverains pour toute la communauté. » Elle reconnaît néanmoins les difficultés pratiques : « Dans la pratique, il n'est pas toujours facile pour l'Université de Genève de trouver des solutions numériques conformes au cadre légal. Celui-ci est souvent cantonal et les solutions standards du marché ne sont pas toujours adaptées. » Elle plaide pour « une protection forte des données via une législation homogène dans toute la Suisse, voire dans toute l'Europe. »
Sur la compétence individuelle, Schröter défend une position nuancée : « L'Université de Genève est favorable à l'utilisation des intelligences artificielles génératives. » Face aux craintes de dépendance, elle adopte une perspective historique : « À l'époque où les livres ou les outils d'écriture étaient rares et encore très chers, les étudiants et les professeurs avaient une capacité étonnante à mémoriser. Aujourd'hui, nous avons clairement perdu ces capacités. Est-ce grave ? Non, je ne pense pas. »
L'Expérience Municipale : Pragmatisme et Apprentissage
Kanaan partage son expérience concrète en ville de Genève : « J'ai mis le numérique dans le nom de mon département. Ça s'appelait le département de la culture de la transition numérique. Qu'est-ce qu'on ne s'est pas moqué de moi ? Mais ce n'est pas politique le numérique, mais arrête de faire ton malin, tu ne connais rien, laisse ça aux spécialistes. Et j'ai décidé que le numérique était politique. »
Cette décision lui a permis d'aborder concrètement les questions de souveraineté : « C'est très joli de vouloir la souveraineté numérique, mais il faut s'en donner les moyens, ça ne se fait pas du jour au lendemain. Comment on gère nos données, comment on introduit l'IA. Mais pour introduire l'IA, il faut gérer ses données. Et là, je dois dire qu'on était au niveau préhistorique. »
Sur l'introduction de l'IA dans l'administration, Kanaan souligne l'importance de principes clairs : « Par exemple, ne mettez pas des données qui ne sont pas publiques. Ça paraît bête, mais... Ou la décision reste humaine, parce qu'il y a au moins la tentation de faire analyser des dossiers de prestations sociales. » Il insiste : « La décision reste humaine. Ça paraît bête de le dire, mais c'est très important. »
Blocages Systémiques et Urgence d'Action
Gassert identifie un blocage fondamental : « N'oubliez pas que la souveraineté numérique n'existe pas. Il n'y a que la souveraineté. Parce qu'aujourd'hui, tout ce que les acteurs politiques, tout ce que la société civile veut faire dans la politique de l'IA est bloqué, bloqués parce que nos relations avec l'Europe ne marchent pas, bloqués parce que nos relations avec les États-Unis ne marchent pas. Alors si il n'y a aucune manière aujourd'hui d'avancer sur une vraie souveraineté numérique, il faut travailler sur la souveraineté elle-même. »
Sur l'action immédiate, Gassert met en avant les opportunités actuelles : « Juste maintenant, au Parlement, il y a la discussion sur les projets phares qui sont permis par la LMETA, la loi e-government, où on a beaucoup travaillé. Open data by default, open source by default, etc. Il y a une base légale pour vraiment faire des projets phares pour toute la société en open source avec l'IA. Et là, on a tout, sauf les budgets. »
Stratégie et Prochaines Étapes
Interrogés sur les investissements publics nécessaires, les panélistes convergent sur plusieurs axes. Schröter insiste sur le dialogue : « Cela devrait passer par un vrai discours public qui pourrait ensuite amener à des bonnes décisions politiques d'abord, mais bien sûr aussi à des bonnes décisions des milieux économiques et entrepreneuriales. »
Kanaan déplore la fragmentation actuelle : « Elle est au niveau suisse, elle donne l'impression d'être parcellaire, c'est-à-dire qu'on réagit à un aspect qu'on a capté. » Il plaide pour un message fédéral structuré : « Quand la Suisse veut faire des masterplans, elle y arrive. Il faut saisir le Parlement d'un message plus global sur les enjeux numériques. »
Sur l'infrastructure, Kanaan propose une approche réaliste : « Créer par exemple aussi des centres de calcul en Suisse, qui évidemment sont peut-être 1000 fois plus modestes ou 10 000 fois plus modestes que les Américains, mais acquérir un savoir-faire pour l'améliorer, c'est ce qu'on a toujours bien fait. »
Izquierdo introduit une dimension géostratégique : « Quand la Suisse se positionne comme un fournisseur d'un LLM neutre, open source, qui ne veut pas clôturer les vannes ou fermer les vannes parce qu'il y a un enjeu politique, ça crée de la confiance pour d'autres pays. » Il évoque le potentiel d'un modèle comme Apertus pour séduire des pays cherchant leur propre souveraineté : « Tous les petits Davids peuvent s'allier face aux Goliaths qui existent aujourd'hui. »
Izquierdo souligne aussi l'importance des ateliers pratiques : « Amener nos décideurs à des ateliers pratiques dans lesquelles on leur montre comment créer quelque chose de fonctionnel en une demi-heure peut les aider à changer ce mindset. »
Gassert conclut pragmatiquement : « Une partie importante de la stratégie, c'est vraiment de faire, pas justement de discuter. Juste aller dans ce mode de laboratoire et aller faire ensemble, aller essayer ensemble »
Appel à la Responsabilité Collective
Kanaan insiste sur l'engagement des entrepreneurs : « Je peux comprendre que les entrepreneuses et entrepreneurs se disent 'non, mais j'ai autre chose à faire'. Mais c'est une grave erreur parce qu'on va les perdre. Deux choses l'une, soit ils valident des choses beaucoup trop libérales, dans le mauvais sens du terme, open bar à l'américaine, soit au contraire, ils font la régulation mal faite. »
Il valorise le rôle des villes comme laboratoires : « En général, dans tous les domaines, pas seulement le numérique, les villes s'exercent à plein de choses, et comme elles ne font pas les lois, souvent ça les rend assez pragmatiques et innovantes. »
Izquierdo clôt le panel par une référence historique puissante : « Il y a très longtemps, une personne a fait un pas en avant et dit "je souhaite créer une organisation internationale qui va défendre l'humanité dans les conflits armés", évoquant la création du CICR. On a tous la capacité aujourd'hui de faire ce pas en avant et de défendre la souveraineté suisse dans l'IA.
Points clés identifiés :
La souveraineté numérique doit être multidimensionnelle : technologique, données, compétences
La Suisse ne peut rivaliser sur la taille mais sur la qualité, l'ouverture et l'auditabilité
L'interdépendance stratégique prime sur l'autarcie impossible
La régulation crée la confiance nécessaire au marché européen
Les blocages avec l'Europe et les États-Unis empêchent toute progression réelle
Un message fédéral structuré est urgent face aux coupes budgétaires massives
Les projets concrets et laboratoires urbains offrent des apprentissages essentiels
English version
A Multifaceted Geopolitical Imperative
Swiss digital sovereignty represents both a necessity in the face of current geopolitical risks and an opportunity to strengthen security, democracy, and national values, affirms Juliane Schröter, Vice-Rector of the University of Geneva, opening the panel. For her, the question goes beyond a simple binary choice: «What Swiss digital sovereignty are we talking about here? Are we talking about sovereignty in the sense of technological or infrastructural independence, or the capacity to control the dissemination of our data?»
Schröter defines three essential dimensions: technological and infrastructural independence, control over data dissemination, and citizens' competence to use digital tools autonomously and consciously. This integral approach outlines an ambitious framework for a country navigating an increasingly fragmented geopolitical environment.
Ernesto Izquierdo, panel moderator, launches a provocative thought experiment to illustrate the urgency of the debate. He invites the audience to imagine a 2030 scenario where the United States imposes a 35% tax on all AI-integrated tools: «Imagine our hospitals, our universities, our emergency services, all are either taxed 35% overnight for all processes that have been automated or augmented with AI.» This dystopian scenario, initially perceived as fiction, takes on a more realistic dimension upon reflection on current geopolitical dynamics.
Izquierdo also emphasizes that in Switzerland, 7 out of 10 companies struggle to adopt AI «not because of a technical challenge, but because of a human, cultural, organizational challenge.» He proposes an adoption framework based on three circles: leadership that sets the vision, "Lab" representing technical solutions, and the "crowd" embodying citizen engagement.
The Swiss Paradox: Excellence and Critical Dependence
Sami Kanaan, former Mayor of the City of Geneva, brings a pragmatic perspective rooted in political experience. Presenting himself as «a citizen interested in digital matters in general for a long time, without being the geek on duty at all,» he describes the challenge of following AI developments amid contradictory information oscillating between catastrophism and lyrical promises.
Kanaan recalls that technological disruptions have always marked societies, citing the example of the steam engine that transformed Geneva's economy by making the Eaux-Vives port obsolete. The current particularity lies in «the speed and scale, across all domains of society.»
The former mayor highlights a troubling paradox: although Switzerland ranks first in global innovation according to WIPO, its deep DNA relies on non-interventionism and trust in market mechanisms, an approach that «no longer works now.» This traditional doctrine assumed an open and fair market where wealth allowed acquiring the best solutions. Kanaan observes: «Recently, there was a debate that has nothing to do with AI, very interesting, it was the crisis of one of the last steel companies, a steel mill. For the first time, a parliamentary majority, the right wing, asked the government against its usual habits to intervene to save this steel mill. It's totally antithetical to Switzerland's DNA.»
This gradual awareness extends to digital matters. Kanaan formulates a clear warning: «We may have money, but if the United States decides to reserve their Nvidia equipment for the United States, it's over.» This technological dependence forces Switzerland to fundamentally rethink its approach, a country that «hates choosing between China and the United States, between Europe and Africa. It likes being on good terms with everyone. Well, in today's world, that's a bit complicated.»
Three Strategic Pillars for Interdependence
Hannes Gassert, President and co-founder of CH++ and Liip, structures the debate with a clear strategic vision. Introducing himself with humor by specifying that he speaks slowly «not because I'm an AI, but because I'm a Swiss-German,» he defines his conception of sovereignty: «For us, clearly, sovereignty is not autarky, but it's the art of interdependence.»
Gassert proposes a three-pillar strategy. The first concerns strategic levers. He lucidly acknowledges Swiss limitations: «We can't build a computer, we can't even build a circuit board. When it comes to AI chips, no, out of the question. Training the largest LLMs, no, we won't succeed.» But the country excels elsewhere: «Being hyper attractive for talent, having real excellence in data centers, the highest quality open data and the most open and auditable LLMs, that we can do.» The challenge is to exploit these assets «with a certain skill in this interdependence. It's a question of combining soft power and hard power, but applied strategically.»
The second pillar, "swappability," aims to systematically guarantee alternatives. Gassert recalls his experience: «In 2009, I was involved in a legal case before the Federal Administrative Court where the real question was whether the open source community could file a complaint against the Microsoft Enterprise Agreement where today Switzerland is still absolutely dependent on these products. There is no digital sovereignty there today.»
The third pillar concerns structural investments. Gassert affirms that «today we need an industrial policy for the age of AI. This certainly concerns energy. You all know, there's no training of large models without an abundance of energy.» He poses a powerful metaphorical question: «What is the Gotthard of the AI era?» referring to the tunnel that «is still a real strategic asset, but it greatly developed a culture of progress and collective security. And we needed that in the 1930s of the last century and we'll need it for the 2030s of this one.»
Regulation and Innovation: Creating Trust
Kanaan rejects the toxic opposition between innovation and regulation: «We need to find a balance and that's what we know how to do in Switzerland and Europe. We need to make it an asset rather than a brake.» He proposes a distinctive approach: «We shouldn't try to go as fast or faster than the Americans, for example, especially right now with their very toxic and completely excessive approach to the subject. Perhaps we should go a bit slower, but better and further together.»
Schröter provides an essential perspective on this articulation: «For innovation, you need a product for which there's a market. For a market, at least in Europe, you need consumer trust. And for that, we need regulation.» This value chain positions regulation as a trust facilitator rather than a brake.
Kanaan insists on the necessity of dialogue: «We need to explain the stakes and find a way to also talk about ethics, data management, also talk about the ecological and environmental dimension of this domain and also talk about societal issues, particularly the digital divide, which is a reality including in this country.» He reveals that «a good third of the population is not comfortable with basic manipulations on your iPhone. That's enormous for a country that otherwise has a connection rate of almost 100%.»
University of Geneva: Three Dimensions of Sovereignty
Schröter details the University of Geneva's contribution along three axes. On technological independence, she emphasizes that the university «actively contributes» with AI specialists working on «large scale and high dimensional issues or sample efficiency and machine learning.» She is enthusiastic about making Geneva «the capital of digital governance,» but warns that «the future of such a project depends on funding, cutting-edge research and major infrastructural projects.»
She alerts about budget cuts: «The domain of training, research and innovation is particularly affected by the austerity program presented by the Federal Council in June. This provides for more than 460 million in cuts per year, almost 4 billion in effect over 3 years. Why? I don't know.»
On data control, Schröter explains that the university has «our own data centers, a data policy. We're currently working on implementing sovereign LLMs for the entire community.» She nevertheless acknowledges practical difficulties: «In practice, it's not always easy for the University of Geneva to find digital solutions that comply with the legal framework. This is often cantonal and standard market solutions are not always adapted.» She advocates for «strong data protection through homogeneous legislation throughout Switzerland, or even throughout Europe.»
On individual competence, Schröter defends a nuanced position: «The University of Geneva is in favor of using generative artificial intelligences.» Facing fears of dependence, she adopts a historical perspective: «In the era when books or writing tools were rare and still very expensive, students and professors had an astonishing capacity to memorize. Today, we have clearly lost these capacities. Is that serious? No, I don't think so.»
Municipal Experience: Pragmatism and Learning
Kanaan shares his concrete experience in the City of Geneva: «I put digital in my department's name. It was called the department of culture and digital transition. How they mocked me! 'But digital isn't political, stop showing off, you know nothing, leave that to the specialists.' And I decided that digital was political.»
This decision allowed him to concretely address sovereignty questions: «It's very nice to want digital sovereignty, but you need to give yourself the means, it doesn't happen overnight. How do we manage our data, how do we introduce AI. But to introduce AI, you need to manage your data. And there, I must say we were at a prehistoric level.»
On introducing AI into administration, Kanaan emphasizes the importance of clear principles: «For example, don't put in data that isn't public. It seems obvious, but... Or the decision remains human, because there's at least the temptation to have social benefit files analyzed.» He insists: «The decision remains human. It seems obvious to say, but it's very important.»
Systemic Blockages and Urgency for Action
Gassert identifies a fundamental blockage: «Don't forget that digital sovereignty doesn't exist. There is only sovereignty because today, everything that political actors, everything that civil society wants to do in AI policy is blocked, blocked because our relations with Europe don't work, blocked because our relations with the United States don't work, so there's no way today to advance on real digital sovereignty. So, we need to work on sovereignty itself.»
On immediate action, Gassert highlights current opportunities: «Right now in Parliament, there's discussion on flagship projects permitted by LMETA, the e-government law, where we worked a lot. Open data by default, open source by default, etc. There's a legal basis to really do flagship projects for all of society in open source with AI. And there, we have everything, except the budgets.»
Strategy and Next Steps
Asked about necessary public investments, panelists converge on several axes. Schröter insists on dialogue: «Having discussions like the one we're having today helps a lot because it helps us particularly to strengthen awareness of this subject. I think it should go through a real public discourse that could then lead to good political decisions first, but of course also good decisions from economic and entrepreneurial circles.»
Kanaan deplores current fragmentation: «What's still missing is that the discussion today at the Swiss level gives the impression of being piecemeal, meaning we react to an aspect we've grasped.» He advocates for a structured federal message: «When Switzerland wants to make master plans, it succeeds. We need to seize Parliament with a more global message on digital issues.»
On infrastructure, Kanaan proposes a realistic approach: «Also create computing centers in Switzerland, which obviously are perhaps 1000 times or 10,000 times more modest than the Americans', but acquire know-how to improve it, that's what we've always done well.»
Izquierdo introduces a geostrategic dimension: «When Switzerland positions itself as a provider of a neutral, open source LLM, which doesn't want to close the taps or shut the valves because there's a political issue, it creates trust for other countries.» He evokes the potential of a model like Apertus to attract countries seeking their own sovereignty: «All the little Davids can ally against the Goliaths that exist today.»
Izquierdo also emphasizes the importance of practical workshops: «Bringing our decision-makers to practical workshops where we show them how to create something functional in half an hour can help them change this mindset.»
Gassert concludes pragmatically: «An important part of the strategy is really to do, not just to discuss. Just going into this laboratory mode and doing together, trying together, is a very important pillar.»
Call for Collective Responsibility
Kanaan insists on entrepreneur engagement: «I can understand that entrepreneurs say 'no, but I have other things to do.' But it's a serious error because we'll lose them. One of two things, either they validate things that are far too liberal, in the bad sense of the term, American-style open bar, or conversely, they make poorly designed regulation.»
He values the role of cities as laboratories: «When I was a local elected official, cities are often laboratories. Cities don't make laws. But in general, in all domains, not just digital, cities practice many things, and since they don't make laws, it often makes them quite pragmatic and innovative.»
Izquierdo closes the panel with a powerful historical reference: «A long time ago, someone said 'I want to change something.' They took a step forward, they said I want to create an international organization that will defend humanity in armed conflicts,» evoking the creation of the ICRC. He concludes: «It's up to all of us, we all have the capacity today to take these steps forward and say we're going to defend Swiss sovereignty in AI.»
Key Points Identified:
Digital sovereignty must be multidimensional: technological, data, competencies
Switzerland cannot compete on size but on quality, openness and auditability
Strategic interdependence trumps impossible autarky
Regulation creates the trust necessary for the European market
Blockages with Europe and the United States prevent any real progress
A structured federal message is urgent in the face of massive budget cuts
Concrete projects and urban laboratories offer essential learning

Infrastructure, Institutions & the Intelligence Economy

Sovereignty & Swiss Startups: How Far Can We Go?

Critical Use Cases for Society: The Advisors and Transformers

Souveraineté Numérique Suisse : Construire l'Interdépendance Stratégique

The Big Recap — “AI for Society”

The Big Recap for the Enterprise & Tech Summit

Switzerland's AI Transformation at a Critical Inflection Point (Panel)

Beyond RAG: Enterprise AI Agents Navigate Real-World Implementation Challenges (Panel)

Public Services & B2B Services: Swiss Perspectives (Panel)
